Bonjour Dominique, vous interviendrez à l'Université d'été du shiatsu sur le thème “Shiatsu et cancer”. Avant de nous en dire un peu plus à ce sujet, pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
Mon parcours Shiatsu est à mettre en parallèle avec mon parcours de kinésithérapeute: j’ai d’abord exercé en libéral, avec en complément un temps partiel auprès d'enfants polyhandicapés, puis à l’hôpital en Soins de Suite et Réadaptation, et ensuite en Équipe Mobile de Soins Palliatifs et Oncologie. Depuis 16 ans, je travaille à 85 % auprès d'enfants en situation de handicap moteur. L'arrivée du Shiatsu s'est faite fortuitement grâce à une tendinite chronique – tendinite réglée en une séance de Shiatsu ! De quoi interpeller un kinésithérapeute ! En réalité, c'est l'approche globale et causale et non plus analytique et symptomatologique qui est un véritable bonus.
J’ai fait mon mémoire de fin d'études de Shiatsu sur le Shiatsu et les effets secondaires des chimiothérapies et ai eu mon certificat FFST en 2005. J’ai ensuite été assistant, puis j'ai ouvert mon Centre de Formation à Bordeaux en 2008, en style Masunaga. Je suis aussi formateur en Anatomie-Physiologie.
En complément j’ai passé deux diplômes universitaires : “Prise en charge de la douleur” en 2002 et “Hypnose médicale et thérapeutique” en 2021 (thème du mémoire : “Hypnose et Shiatsu en neuropédiatrie”).
J’ai également un certificat d'aromathérapeute.
J’ai été président de la FFST de novembre 2016 à février 2022, et en suis actuellement deuxième vice-président.
C'est un magnifique parcours que vous avez fait ! Pourquoi avoir choisi le thème des chimiothérapies comme mémoire de fin d'étude de Shiatsu ? Quelle est votre expérience dans ce domaine ?
À vrai dire, c’est un magnifique concours de synchronicités. Juste pour refaire rapidement l'histoire, début juin 2006, j’ai quitté l'hôpital avec lequel je travaillais, pour changer de département et intégrer l'Équipe Mobile de Soins Palliatifs de l'hôpital de Saintonge. C'était essentiellement un poste de conseil et de formation. L'EMSP travaille en étroite collaboration avec le service de cancérologie.
À cette époque, j'entrais en dernière année de formation Shiatsu, et il me fallait trouver un thème de mémoire. Quinze jours après mon arrivée à l'hôpital, j’ai demandé à prendre rendez-vous avec la directrice des Soins Infirmiers, car je souhaitais proposer des séances pour le personnel de l'hôpital. Sans connaître le Shiatsu, elle m’a dit banco, et l'aventure a commencé.
Dans le même temps, je proposais à ma cheffe de service d'intervenir sur les patients cancéreux, avec l'idée de mesurer l'impact du Shiatsu sur les effets secondaires des chimiothérapies. Là encore, banco ! L'équipe d'oncologie a adhéré sans réserve à mon projet. C'est pourquoi je parle de synchronicités. Tout le monde m’a dit d’accord, sans réellement savoir ce qu'était le Shiatsu ! C'est ma cheffe de service qui m’a suggéré de donner un aspect "scientifique" à mon projet. Elle s’est proposée de m'aider dans l'interprétation des données chiffrées, et nous avons établi ensemble le protocole d'évaluation. Toute l'institution hospitalière a formidablement joué le jeu.
Il me fallait aussi l'accord de ma formatrice. Ce fut un refus, non négociable ! Stupeur ! Son argumentaire : "le cancer est une contre-indication au Shiatsu". Comme je suis très têtu, j'ai insisté. Elle m’a renvoyé auprès de la direction de la FFST. Là encore, nouveau refus de la part du président. Devant mon insistance au téléphone et lassé de moi, il a passé “la patate chaude” au secrétaire général. Même discours d’emblée, mais après discussion a fini par me donner son accord, en me précisant toutefois qu'il évaluerait mon travail, et surtout qu'il fallait que je ne m'attende à aucun cadeau. C’était gagné.
C’était assez surprenant cette dichotomie entre le monde hospitalier et les professionnels du Shiatsu ! En tout cas, ce fut une belle leçon.
En effet, c'est une superbe leçon. À quelle fréquence et durant combien de temps êtes-vous intervenu en oncologie ?
Je suis resté deux ans dans ce service. Environ vingt séances de Shiatsu par semaine. Seize personnes sont entrées dans le cadre du mémoire. En tout, ce sont environ 150 patients qui ont bénéficié de séances de Shiatsu. La fréquence des séances de Shiatsu était calquée sur les séances de chimiothérapie, donc un rythme variable en fonction des personnes. En général toutes les semaines ou toutes les trois semaines, en fonction des protocoles de chimiothérapie proposés.
C'est un sacré expérience que vous avez eu ! Cela tombe bien puisque ce sont vos connaissances sur le sujet du shiatsu et cancer, que vous allez partager avec nous cet été ! Pourriez-vous nous faire une courte synthèse sur ce que cette expérience vous a appris ?
En guise de synthèse, je dirais que ce fut une très riche expérience. J'en tire deux conclusions :
- Il faut que nos praticiens Shiatsu osent, y compris sur des sujets à priori pas gagnés d'avance. Il faut frapper aux portes, même si 9 fois sur 10 elles se referment ; à la 10ème elle s'ouvrira. OZZZONS !!!
- Si l'on remet le patient-receveur au centre de son projet de soin, le Shiatsu a toute sa place comme technique complémentaire, et j'insiste sur ce terme. Il y a de la place pour tous, à condition que nous-mêmes ne tentions pas de jouer aux apprentis sorciers. C'est tout l'intérêt de l'interdisciplinarité et non de la pluridisciplinarité. Restons humbles, mais soyons fiers de notre art.
Je vous remercie pour cette synthèse, qui plus est motivante pour tous ceux qui souhaitent travailler avec le corps médical.
Vous travaillez essentiellement avec des enfants en situation de handicap moteur depuis 16 ans, ce qui nous emmène au second sujet, que vous aborderez cet été : «Shiatsu et pédiatrie ».
Cela se passe aussi à l'hôpital ? Comment travaillez-vous avec les enfants ? Quels types de résultats obtenez-vous avec des enfants handicapés moteurs ?
J'interviens en neuro-pédiatrie dans le cadre d'un Service d'Éducation et de Soins à Domicile, c'est-à-dire que j'interviens sur le lieu de vie des enfants à domicile ou à l'école. Mais, il peut y avoir des interventions ponctuelles à l'hôpital.
En première intention, ce sont des soins de kinésithérapie, auxquels j'associe le Shiatsu. Les enfants en sont vraiment demandeurs. Au-delà du bien-être incontestable que cela leur apporte, j'en soupçonne quelques-uns de réclamer un Shiatsu pour éviter les exercices plus actifs que je leur demande !
Les résultats sont difficilement mesurables. Les professeurs des écoles avec qui je travaille disent toutefois que les enfants, après une séance, s'avèrent plus réceptifs et moins agités, pour certains, pendant quelques jours.
Je disais précédemment qu'il y avait des interventions ponctuelles à l'hôpital. Là, les effets sont mesurés. En effet, certains enfants ont des injections de toxine botulique régulièrement pour diminuer leur spasticité. Dans ce cas, il peut y avoir un accompagnement de Shiatsu en plus des diverses médications pour réduire les cotations douleur.
Le protocole est le suivant :
Une séance de Shiatsu complète dans un but de détente, environ une heure avant les injections, puis intervention sur des points spécifiques antalgiques pendant que le médecin injecte. Les résultats montrent une diminution des douleurs. Sur une échelle de 0 à 10, on gagne entre 3 et 4 points (qui sont de 6 à 7 sans Shiatsu). À noter, depuis un an, la combinaison d'une séance d'hypnose. Dans ce cas, la cotation douleur passe entre 0 et 1. Il y a aussi d'excellents résultats pour certains enfants qui présentent des nausées suite à l'inhalation du gaz MEOPA, qui est un antalgique. On arrive à 0 nausée.
Merci beaucoup pour cette interview Dominique. Vivement cet été.
À bientôt Thomas
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