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Photo du rédacteurAstrid Filliol

Interview de Bernard Bouheret et Olivier Monteils, sur l'importance du rythme dans le Shiatsu


L'importance du ryhtme en shiatsu
Retrouver un extrait vidéo de 2 minutes en bas de l'article


Pouvez-vous me dire ce qui vous a amenés tous les deux à faire équipe pour ces journées de l’Université d’été avec une explication sur votre relation particulière, ce que cela vous apporte, et ce que vous pensez offrir à votre public de praticiens de Shiatsu ?


Olivier : Pour ma part, la rencontre se fait indéniablement à travers ma femme. C’est un lien. Élève de Bernard, elle découvre le Shiatsu il y a 11 ans. Parallèlement, je m’intéresse de manière générale à la médecine chinoise à travers les arts martiaux, que j’ai pratiqués

assidûment pendant 8 années, et plus précisément le Wing Chun de la lignée de Maître Lok

Kiu, élève d’Ip Man. Ma réflexion a commencé quand j’ai reçu la commande pour la musique du documentaire « La Voie du Shiatsu »  créé par l’AIST en partenariat avec les Editions Montparnasse.

En effet, je commence à créer un lien avant même de connaître Bernard, en observant des

vidéos en ligne où l’on peut le voir pratiquer et enseigner, afin de m’inspirer de ses

mouvements et ainsi composer le thème principal du documentaire et ses déclinaisons.

Évidemment à ce moment-là, ce lien était purement énergétique. Même si je considère

Bernard comme mon ami aujourd’hui, à l’époque, on ne se connaissait pas. Notre

collaboration s’est faite par la suite le plus naturellement du monde et de manière fluide.

Comme je fonctionne au feeling et à l’instinct, la suite on la connaît tous les deux, il y a eu

cette synchronicité. En fait, la musique nous a réunis car comme elle est à la fois fédératrice et spirituelle, elle génère une universalité. Notre histoire a commencé comme cela.

J’ajouterai, qu’avec Bernard, ce que j’apprécie c’est que l’on n’a pas besoin de se parler

beaucoup, d’étatiser des trucs à n’en plus finir et travailler avec le mental. On en est donc

venus à se dire « Tiens, on va faire un truc ensemble ! » comme une évidence.


Quel est l’intérêt de présenter cela à des praticiens ?


Olivier : En tant que musicien, et pour parler plus précisément du rythme, je suis un peu

crispé quand je vois que les gens sont complètement déconnectés de ce dernier et ceci bien trop souvent. Cela me tracasse et je me dis à chaque fois « que pourrais-je faire pour

apporter un plus avec mon expérience ? ». En effet, je vois des gens qui tapent à côté du

tempo ou bien qui ne ressentent pas. Jusque-là cela n’avait pas de portée à caractère

thérapeutique mais d’un seul coup, je me suis senti une légitimité, en collaboration avec

Bernard, d’amener mon savoir de 45 années de pratique et d’expériences professionnelles,

afin de permettre aux gens d’intégrer ce paramètre qu’il n’y a pas de mouvement sans

rythme. Cela me paraît insensé qu’un praticien qui étudie ou bien qui parle de pouls, de

pulsation, de méridien ou encore de choses organiques ne prenne pas en compte le fait

d’imprimer un rythme dans sa pratique. Car tout est chiffré en ternaire comme les méridiens en triplets, 3 yin, 3 yang pour les mains et les pieds, ou le rythme circadien des organes qui se réalise en 24 heures, ou encore le cœur qui bat sur une pulsation ternaire et non binaire.


Cette approche musicale était-elle déjà en toi aussi, Bernard ?


Bernard : Oui, je ne suis pas musicien professionnel, comme Olivier dit qu’il n’est pas

praticien, mais j’ai l’impression qu’on a une passerelle d’évidence, car la musique a toujours été dans ma famille, mes parents sont mélomanes et mes enfants sont musiciens ; mes parents m’ont transmis que la musique ouvrait le cœur et nourrissait l’âme. Mon père, un genre de seigneur de province, rentrait entre midi et deux comme cela se faisait à l’époque, actionnait tous les jours et tout le temps sa chaîne stéréo de très belle qualité pour l’époque, et pour laquelle il avait investi un mois de salaire. Mes parents avaient une grande culture musicale qui m’a porté et qui m’a nourri.

On chantait beaucoup pendant les voyages. On nous appelait la famille Von Trapp. On

savait chanter à plusieurs voix naturellement. Et du coup cela sort de moi, je chante

naturellement. Quand je marche dans la rue tout seul, ça chante en moi et ça ne peut

s’arrêter. Plus tard, j’ai pris des cours de chant, j’ai même failli devenir chanteur

professionnel. A un moment ma voix était complètement placée, et mon professeur, un

ancien ténor de l’opéra de Berlin, m’a dit « tu peux y aller ta voix est placée ». Mais non, cela ne s’est pas fait, ce n’est pas la même vie et je ne regrette pas du tout d’ailleurs.


Olivier : Nous avons le même background tous les deux. Mon père était metteur en scène et comédien. Enfant, il m’a initié au jazz. Il n’arrêtait pas de me dire « le ternaire Oliv’, le

ternaire, chabada, chabada ». C’est le mouvement d’une cymbale, la ride. Mon père avait

bourlingué, et avant d’être comédien, il avait été à l’école de la marine marchande. Il était

officier radio et donc spécialisé dans le morse « ti di ti ti diti ». Il avait une oreille de dingue, et lorsqu’il est parti sur les cargos à vingt ans, aux Etats-Unis à Chicago ou sur les grands lacs Ontario et Michigan, lors de ses escales, il a découvert le jazz.

Il me parlait souvent de Miles Davies ou encore Wayne Shorter, que j’écoutais déjà à 12 ans.

Quant à ma mère, elle était musicienne classique et premier prix de conservatoire violon et

piano à l’âge de 16 ans. Elle me faisait écouter Mozart, Berlioz, Chopin, Tchaïkovski,

Beethoven etc. Du coup, j’avais leurs deux cultures musicales en stéréo, et au milieu, de

mon côté, j’écoutais de la soul et de la pop. Je me suis donc construis ma propre culture

avec tout ce métissage musical, jusqu’à la rencontre avec l’univers de la comédie musicale.

Plus précisément ce génie contemporain qu’est Léonard Bernstein et la découverte de son

œuvre « West Side Story ». Il y a déjà cette idée de la danse et du mouvement à travers le

rythme, qui est magnifiée d’une façon très moderne pour l’époque, puisqu’il l’a composé en

1957. C’est fou !


Bernard : En en parlant on retrouve un terroir commun. Dans ma famille il y a des

médecins : un grand -père médecin, un cousin germain généraliste, ma sœur orthophoniste.

Il y a aussi le soin. Les deux sont mélangés. Et pour moi il y a les arts martiaux, petit. Les

randoris, le rythme des mouvements, le frottement sur le kimono…Tout cela se mélange et

je suis d’accord avec Olivier, il y a des mouvements que l’on fait, des déplacements

cadencés que l’on retrouve dans le Shiatsu.


Olivier : Et il y a l’ouverture d’esprit de Bernard. Je propose et il est partant. Tu as cet esprit de liberté, de curiosité.


Bernard : De partage aussi. La rencontre avec Marielle est fabuleuse. Son imprésario est

venu me voir en août il y a 15 ans, m’amenant une artiste fatiguée et dans une phase de sa vie difficile. Je la connaissais car mes parents, encore eux, avaient un disque d’elle. Je l’ai reconnue car elle n’avait pas changé de visage. J’étais honoré de la recevoir. Et il s’est

passé une chose folle : j’ai entendu la musique dans le corps de cette femme. C’était une

émanation de la musique et cela m’a mis dans un état incroyable. J’étais suspendu à mes

mains, j’avais l’impression de jouer sur une harpe. C’est difficilement explicable et ne sais

comment le dire, mais je sentais que j’entendais de la musique et que je devais donner mon Shiatsu de la plus belle manière qui soit.

Depuis que je pratique, j’entends des rythmes. Il y a la prière aussi. Je prie beaucoup. Il faut dire là l’intimité de notre cœur. Je prie pendant le soin et la prière est toujours scandée. Ça roule comme un moulin bouddhiste. Pas grand monde le sait. Cela prie en moi. La prière vient en moi et je deviens une caisse de résonance de l’énergie du Ciel qui se sert de moi pour œuvrer. La musique vient du Ciel. Mozart le savait bien, et Bach aussi …En Afrique, la musique monte de la Terre !


Olivier : Quand j’ai composé la musique de la Voie du Shiatsu, ou lorsque je compose en

général, il faut comprendre que le cérébral n’existe pas. Il est utile pour allumer ton synthé

bien sûr, mais si tu pré-conceptualises quelque chose avec ton mental alors tu n’es plus

dans l’instant présent. En effet, dans la création, tu risques de galvauder quelque chose

d’essentiel, à savoir l’improvisation et la liberté qui en découle. A partir du moment où tu

crées, tu te connectes à quelque chose de beaucoup plus grand que toi. D’ailleurs, j’ai

systématiquement pris l’habitude, quand j’ai fini une composition, de remercier le ciel et

l’univers parce qu’il y a une forme de connexion qui se passe… Quand je réécoute, je me dis

souvent « mais où ai-je été cherché cela ? ». Et je me sens à la fois amusé et chanceux.

Bernard : il y a cette canalisation. On en revient à l’étymologie de thérapeute qui veut dire

« serviteur de Dieu », au service de plus grand que soi. Et à chaque fois que j’invite un

musicien, je sais que nous avons le même Dieu qui était nommé dans l’Antiquité : c’est

Apollon, le dieu des rythmes, le dieu des souffles, le dieu des artistes et des médecins. C’est

lui qui règle l’équilibre. Et la médecine, cette médecine manuelle pour nous, est un art. Les

praticiens de shiatsu doivent travailler comme des artistes, comme des serviteurs, comme

des chevaliers. Et toi, Olivier, tu vois tout de suite qui est dans le rythme ou non, sans

jugement aucun, tu as la capacité immédiate de percevoir celui ou celle qui est animé du

Souffle de plus grand que soi.

Olivier : J’ai observé, sans jugement, comme le dit Bernard que certains praticiens sont

réticents à lâcher le mental et que cela résiste. Pour ma part, je suis plus porté à laisser le

champ libre à l’instinct depuis toujours et ainsi me connecter à l’intuition. Et de fait, je

ressens très vite qui est connecté ou pas.

On dit que la musique élève l’âme, c’est une base, et que si on veut aller dans la démarche

du soin, il faut se connecter à plus grand. Que donneriez-vous comme conseil à des

praticiens moins formés que vous ? Que retenir de votre expérience menée en tandem ?


Bernard : D’abord se mettre au service, car le musicien est un messager, un vecteur, et

donc le praticien doit se mettre dans une position de serviteur. Et quand tu t’es placé en tant que serviteur, bien sûr, tu as un Maître. Toute ma vie j’ai ressenti qu’on m’avait demandé cette position. Déjà, très tôt, à 12 ans, cela m’a été demandé dans la maison de famille de Montpellier. Et donc le shiatsu est devenu l’outil du service. Il n’y a pas plus belle vie que celle du « serviteur ».


Serviteur, c’est noble pour toi ?


Bernard : Serviteur, messager, chevalier. J’ai une prière le matin qui dit comme cela : « je

veux bien être ton serviteur, ton messager, ton chevalier, ton ami, ton amant, ton

enfant »…Et selon les situations dans la vie, Dieu te demande d’œuvrer d’une manière ou

d’une autre. Mais nous, en shiatsu, on est à genoux. J’ai passé ma vie à genoux. Et ce n’est pas anodin. Pieds nus aussi. On laisse les personnes s’allonger, on leur prend le pouls, on écoute les battements de leur cœur. On est à la même hauteur, humbles sur le sol !


Olivier : J’ai un ami, Taffa Sissé, qui est percussionniste et griot, et qui a créé le groupe

Xalam, premier groupe de musique traditionnelle sénégalaise électrifiée. Il possède cette

culture millénaire du rythme, transmise de génération en génération. Il m’a raconté la chose suivante : son oncle, qui jouait aussi des percussions, l’emmène, à l’âge de huit ans chez le Griot local, un maître tambour, pour son apprentissage. La première année, il a dû nettoyer la case, préparer à manger sans jouer ni même avoir le droit de taper sur un djembé. La deuxième année, il a eu le droit d’assister à l’assemblage du djembé, écouter les anciens parler de l’attribution du rythme dans telle ou telle cérémonie, nettoyer la case… Au bout de quatre ans, il a eu le droit d’apprendre un rythme de base, c’est tout ! Puis apprendre à jouer avec les autres. En fait cet enseignement a pour but de casser l’égo. Avoir le respect de ceux qui savent et qui ont reçu de leurs aînés.

En Afrique, en Inde, en Chine, au Japon, dans ces cultures ancestrales, quand bien même tu as la connaissance et que tu reçois l’enseignement, tu restes toujours humble, tu reçois cette forme d’initiation parce que les traditions sont toujours présentes et ne prévalent pas à la culture du moi et de l’individualisme, mais au vrai savoir.


Bernard : C’est ce que j’ai vécu au Japon. Ils te broient littéralement. Ils te pètent l’égo.

Autant avec les techniques martiales, si tu ne lâches pas, ils te mettent en mille morceaux.

Et ils regardent comment tu te laisses broyer d’une certaine manière. Moi je souriais tout le

temps. J’étais comme un enfant. Et après, ils savent te relever, te soigner, te dorloter. Tu es devenu un des leurs. Mais cela passe par une forme de déstructuration de l’égo puis par une reconstruction de l’être profond. Et il n’y a pas beaucoup de personnes qui acceptent aujourd’hui de faire ce chemin. C’est une initiation !

Le point commun chez vous, c’est que vous êtes allés voir ailleurs ? Vous êtes sortis de

France ?


Olivier : Grâce à mon métier j’ai beaucoup voyagé. J’ai fait mes études aux USA, je suis allé dans plusieurs pays d’Afrique, en Inde, en Indonésie, en Europe de l’Est ou du Nord, etc.


Bernard : Quant à moi, avec l’initiation au Japon et l’Afrique, j’ai refait le trajet accompli par mon grand-père médecin colonial. Je les ai appelés, mes grand parents, les chercheurs

d’Orient, des deux côtés, mon père et ma mère. Ainsi qu’un un arrière grand-oncle

missionnaire mort et enterré dans la presqu’île de Pénang, en Malaisie. Il parlait couramment le chinois. Tiens donc ! Je dirais que tous les deux nous sommes des serviteurs de notre art et quand on communie ensemble, on fait passer quelque chose de fort et de joyeux, et ce n’est certes par un hasard.


De plus, c’est accessible à tous. Quels sont vos messages à faire passer ?


Olivier : Il faut toujours travailler les bases, les fondamentaux, les premières choses que tu as apprises, et que tu continues à les travailler. A 60 ans, après toutes ces années de

pratique et d’expériences, je continue à me questionner sur ce que je peux améliorer dans

mes mouvements ou dans mon jeu. Je continue de travailler les bases, ma posture, mon

ancrage, encore et encore, avec toujours cette volonté d’être au maximum dans le ressenti

et dans le moment présent.


Bernard : il faut conserver l’esprit du débutant, Olivier a raison. Il y a une espèce de force

supérieure qui me surveille, qui me contient et qui m’empêche de partir ailleurs. Répéter

c’est apprendre, se perfectionner sans cesse ! La répétition est un enseignement, comme le dit une petite sœur de l’abbaye de St Jacut.

En fait, on ne répète jamais, on avance dans un mouvement spiralé. Et on avance en soi…

Et quand on finit par se trouver, au fond de soi l’autre apparaît qui n’est pas « autre » mais le reflet de soi. Comme le disait Goethe : «je marche pour savoir où je vais». Moi, j’ai envie de dire en shiatsu : «Je soigne pour savoir qui je suis».



 


Vous avez envie d’en savoir plus sur l’importance du rythme en shiatsu ?

Vous pouvez consulter ces deux articles, l'un écrit par Bernard Bouheret et l'autre par Olivier Monteils ou chacun partage sa vision du rythme.


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