Mylène Pierrard, praticienne de shiatsu, a trouvé sa place dans un service hospitalier de pédopsychiatrie. Formée à l’École de Shiatsu Thérapeutique, elle a su montrer comment cette pratique peut aider les adolescents en difficulté. Dans cette interview avec Astrid Filliol, elle raconte son parcours, les défis qu’elle a rencontrés et les bienfaits du shiatsu dans ce contexte unique.
Bonjour Mylène,
Nous avons été impressionnés, praticiens de shiatsu, par le fait que tu sois un pur produit de l’École de Shiatsu Thérapeutique de Bernard Bouheret et par conséquent nous nous sommes facilement identifiés à toi. Tu n’étais pas quelqu’un de l’extérieur qui venait présenter sa recette, sa méthode. Quelle a été l’énergie déployée en termes d’imagination, de travail sur toi, pour arriver à te faire accepter par l’environnement médical dans lequel tu as évolué : intégration dans une équipe, acceptation du système, par le médecin prescripteur, et par des jeunes patients en difficulté ? Quelles ont été été les qualités mobilisées pour un tel résultat, ce qui a dû être mis en avant ou au contraire effacé dans ta personnalité ?
Bonjour Astrid, je te remercie.
« Produit » n’est peut-être pas ce qui me représente, je suis avant tout très sensible à la voie du Seï Shiatsu Do. Ce qui m’a intéressée dans cette pratique, c’était son mouvement physique et psychique, et son rythme singulier. Intégrer cette notion de pulsation dans ma pratique m’a permis de m’ancrer davantage, ce qui m’a été nécessaire pour évoluer dans cet environnement précis.
Travailler en pédopsychiatrie ou avec des pathologies qui touchent à la santé ou à la souffrance mentale des enfants demande un mouvement continu de calme intérieur. Souvent, ce sont des patients très réactifs dans leur sensibilité. Il n’y a pas de place pour les vagues émotionnelles des accompagnants, au risque d'accroître ou de faire émerger les leurs, par effet miroir.
La mise en mouvement de leurs corps par des pressions régulières répétées en 3 temps évite toute stagnation. Ce protocole, tout comme la préparation avant de le dispenser, offre l’avantage de nous mettre dans de très bonnes conditions et dispositions, car il faut veiller à ce que tout circule parfaitement bien tout le temps pour le patient ainsi que pour soi-même.
Avoir confiance en ma technique m’a alors permis de développer et de faire évoluer pendant 7 ans les conditions d’accueil que je souhaitais leur offrir. Elles me sont indispensables pour travailler. Aussi, j’ai cherché comment rendre ce cadre agréable pour mes jeunes patients. Ce qui a été un vrai challenge !
J’ai commencé sur futon dans une salle lumineuse en dehors de l’unité de soins, à l’étage inférieur, car je souhaitais emmener les adolescents dans un lieu neutre. Malheureusement certains n'avaient pas accès à cet « ailleurs », ni la latitude de pouvoir en sortir. Comme j’intervenais alors dans leurs chambres ou en chambre d’isolement, j’ai décidé, par souci d’équité, d’intégrer une salle polyvalente dans le service afin de pouvoir accueillir tout le monde et au même endroit. Ce n’était pas un grand voyage mais c’était déjà une autre possibilité pour eux. Malheureusement, le plafond était bas et la pièce très grande, sans atmosphère, et cela ne leur convenait pas. J’ai fini par m’installer dans la salle « Esthétique », là où ils avaient la joie de pouvoir se transformer physiquement et « d’être beaux », comme ils disent. Tous les adolescents adorent cette salle, filles comme garçons, c’est significatif. C’est un âge où l’image, et le reflet qu’ils en ont, commencent à compter.
J’en ai fait le QG du Shiatsu au milieu des parfums, du maquillage et des lisseurs à cheveux… J’ai travaillé sur table puisqu’il y en avait une et que l’espace ne me permettait plus de pratiquer au sol. Peu après, par confort personnel, j’ai tout de même mis cette table dehors pour essayer de garder la tradition Shiatsu ; mais pour finalement, rapidement, reprendre la salle telle qu’elle se présentait au départ.
Je ne voulais pas changer leurs habitudes, en tout cas, pas à ce stade. Une table qu’on déplace est un changement. Lors de l’hospitalisation d’un enfant, les repères, les lieux, les objets, les gens, les rituels sont importants, pour un enfant tout court d’ailleurs. Je souhaitais leur montrer qu’on pouvait commencer à « écrire en Soi » sans avoir besoin d’être dans des conditions parfaites ou idéales et que la vie de toute façon ne permet pas toujours cela.
Chercher en premier lieu l’environnement dans lequel je souhaitais et pouvais les recevoir m’a donc appris à être flexible et à m’adapter aux différents contextes. Ça m’a pris un certain temps pour essayer de servir au mieux le projet de soins de cette unité. Patience et concentration ont été mes alliées.
Pour le reste, c’est de l’adaptation et de l’écoute, comme je l’expliquais, mais c’est aussi le cas de toute institution que tu intègres.
Tu as été pédagogue et tu as su gagner la confiance de tes patients en dépit de leur attitude de départ. Tu as établi des règles qui ont été acceptées, tu as su traduire ce que tu proposais en termes médicaux qui ont conquis l’équipe et le médecin prescripteur.
Conquis l’équipe, je ne sais pas, mais dans un service, tout le monde suit le chef d’orchestre, c'est-à-dire le médecin. A ses côtés, le cadre de santé, lui, offre les possibilités et faisabilités. Et le tout est supervisé par le chef de service. Je n’ai donc pas établi de règles, j’ai suivi ce qui était déjà en place et j’ai amené ma palette d’outils.
Pour moi, effectivement, la pédagogie est fondamentale, surtout quand tu es face à un public qui, au début, ne connaît absolument pas le shiatsu.
J’ai essayé alors de « traduire » la médecine traditionnelle chinoise à mes collègues, afin qu’ils puissent se servir de mon travail et que l’on puisse se comprendre. C’est ce qu’on me demande et c’est tout aussi important que mes séances. Nos approches thérapeutiques ne cohabitent pas ensemble depuis très longtemps et cela peut rendre les interactions fragiles. Tout ce qui est inconnu amène à de l’observation et peut susciter de la méfiance. Alors, avant la possibilité du vivre-ensemble, je crois qu’il faut tout d’abord assembler pour rassembler. J’y ai donc apporté une attention particulière. Et, pour inclure la psyché vue de la pensée orientale, il m’a fallu comprendre leur langage de départ, la santé mentale dans la psychologie et psychiatrie occidentale.
Il y a donc d’une part, ce que l’équipe a besoin de savoir et d’autre part, il y a ce que le jeune patient attend.
En effet, on peut imaginer, pouvoir dire ce que l’on veut, que cela n’aura pas d’importance ou de conséquence puisque c’est un langage différent et que les enfants sont plus ouverts mais en réalité, c’est l’inverse et c’est pire ! Je fais le parallèle avec la musique car à la moindre fausse note, et même si personne ne connaît le solfège, ça s’entend… Les réactions en santé mentale sont immédiates et avec des adolescents en souffrance, c’est irrévocable.
Ils mémorisent rapidement le protocole, et quand je change de méridiens ou que je laisse de côté une partie qu’ils apprécient, ils me le disent tout de suite ! Cela m’amuse autant que ça me surprend, mais ça me permet surtout de leur expliquer pourquoi. Je leur signifie que je m’adapte aux évènements de leur vie, à leur prise de médicaments, ou encore à leur météo émotionnelle.
Mon but est de leur faire prendre conscience de leur corps avec l’impact de tous ces éléments. Au-delà d’une transmission, c’est surtout une intention.
A l’issue de la séance, ils se précipitent vers l’équipe médicale ou vers leur camarade de parcours, pour leur expliquer à leur façon, les informations qu’ils ont reçues. Je ne leur demande pas de le faire mais les enfants sont toujours très spontanés. Il y a donc plutôt intérêt à être clair car ils fonctionnent beaucoup par imitation.
Lorsqu’ils arrivent dans cette unité, ils sont en très grande souffrance. Aussi, au-delà des explications, il est primordial d’établir un lien de confiance avant de partager un enseignement. Et c’est cette confiance qui permet d’intégrer la pédagogie.
Quelles sont les qualités que tu as dû développer pour accomplir ce chemin ?
L’abnégation, mais il faut bien se connaître et connaître ses limites.
Accompagner dans ces unités, c’est savoir cultiver un naturel optimiste et positif. Il faut en effet pouvoir avoir la capacité de regarder plus loin que les faits énoncés pour passer bien souvent au-delà de l’entendement. Et dans cette optique, être heureux est un bon point de départ.
Je dirai qu’une des forces majeures, c’est d’avoir un immense engouement à célébrer la vie car nous sommes dans des conditions extrêmes de douleur, de chagrin, de colère et de très grandes blessures et cicatrices intérieures. Ces enfants ont absolument besoin de lumière, d’apaisement et je dirai : d’amour… sinon rien n’est possible. Il faut impérativement qu’ils sentent cet élan à travers nous mais en même temps, il faut aussi savoir s’effacer afin qu’ils puissent trouver leurs propres ressources.
Enfin, je dirai qu’il m’a fallu utiliser à bon escient rigueur, précision, réflexion, logique, curiosité, créativité, esprit critique, neutralité, sens de communication et du travail en équipe ! La liste peut paraître longue mais ce sont en réalité des qualités scientifiques. Pour ma part, j’ai suivi des études artistiques, j’ai donc dû travailler un peu plus… !
Tu les aides à retrouver leur corps, tu vois la mémoire du corps ?
Retrouver le corps et la mémoire du corps sont deux sujets différents. On entend par ici que quelque chose aurait été perdu comme c’est effectivement le cas lors des traumatismes physiques ou psychiques.
Retrouver son corps, c’est l’entendre, l’accepter pour s’accepter afin de pouvoir discerner, définir, accueillir ou opposer la place de l’autre vis à vis de ce corps et donc de soi. On peut dire que c’est ce qui mène à l’équilibre absolu avec l’esprit. Le Shiatsu est une discipline exceptionnelle pour cela.
D’un autre côté, qui dit mémoire dit information encodée, et donc cerveau. La mémoire du corps, cela peut signifier que les souvenirs et les hémisphères cérébraux du patient sont possiblement dans une forme de veille, et que les faisceaux qui les habitent ne transmettent plus les messages. Les informations alors ne circulent plus et cela vient se loger sur le corps. Travailler la mémoire du corps serait découvrir comment et pourquoi une douleur est intégrée comme telle. Il y a en cela une fonction de recherche et non de visée vers l’équilibre. Ce n’est pas systématique car parfois on a déjà les éléments.
C’est une autre écoute, c’est celle que l’on va chercher uniquement lorsque le jeune patient est complètement mutique ou encore quand le médecin le demande pour obtenir des informations complémentaires. Le Shiatsu et la médecine chinoise sont donc des outils de lecture pour comprendre cela. C’est difficile à résumer en quelques mots et c’est pour ça que j’ai proposé cet exercice à l’université afin d’amener la base de mon travail en pédopsychiatrie.
Avant de parler de mémoire du corps, il faut surtout se demander : quel message ce corps transmet-il ? Et d’où cela part-il ? C’est l’essence même de notre métier. J’observe donc en premier lieu ce qu'il s’est passé sur et avec ce corps, ce qui ne va pas, quel organe ou viscère est impacté et ce que je fais de ces informations, comme pour une séance traditionnelle. Puis, j’écoute ce qu’indique le jeune patient versus ce qu’en dit son pouls. Et comme on sait que corps et esprit ne sont pas séparés, cela me permet de commencer à faire des liens. Enfin, en partant de mon protocole, j’ai développé une grille de lecture via les points qui touchent à cette mémoire et au sens large, la mémoire de l’histoire familiale puisque nous travaillons avec les enfants et leurs parents.
Je me suis donc servi de la MTC en intégrant la psyché occidentale afin de pouvoir construire un raisonnement. Et j’ai tout décomposé : les diagnostics ou les symptômes psychiques que l’on me transmettait, la localisation des points ou zones qui touchent à la psyché et à la mémoire, les zones touchées par la pathologie, versus la parole des adolescents et les actes qu’ils s’infligent sur le corps. J’ai fait, par exemple, des associations avec les cycles d’engendrement ou de contrôle et je les ai confrontées avec les éléments que j’avais.
Il ne s’agit ni d’inventer ni de présupposer bien sûr, mais de relier la cartographie corporelle de l’enfant à celle de son histoire quand cela est nécessaire. L’ensemble des deux permet d’avoir cette vision.
As-tu écrit sur ce que tu as observé ?
Oui en effet, je fais de la recherche en parallèle sur la place du transgénérationnel dans notre discipline à travers ce type de patients. Le transgénérationnel, c’est l'ensemble des mémoires qui nous ont été transmises par notre arbre généalogique et que nous portons, consciemment ou non. C’est la partie immatérielle de l’ADN en quelque sorte, l’héritage de la lignée. L’objectif est de remonter à la source - via le corps ! -, au centre du traumatisme hérité et lorsqu’il est identifié, repérer sa transmission aux descendants afin d’apporter une compréhension, une remise en perspective.
Nous traversons une époque où cet héritage n’a plus vraiment de place car il règne une forte volonté d’émancipation et d’individualisation. Il faut reprendre l’histoire pour comprendre cette progression. C’est une autre ère, une autre pensée, une autre façon de vivre, mais encore faut-il que cela n’ait pas de conséquence ou de portée. Malheureusement, c’est très souvent le cas chez les enfants, d’où le constat de mener cette recherche déjà présente dans d’autres pratiques. Nous partageons le même regard avec le médecin, qui lui, travaille avec le génogramme (c’est la représentation graphique d'une famille qui permet de visualiser sa structure, son histoire et ses relations). J’essaie alors, de mon côté, d’exposer les maux du corps et de l’esprit entre ressources et faiblesses du Jing. Les chinois distinguent depuis toujours ce qui est inné de ce qui est acquis. Or dans notre société actuelle, nous préférons acquérir en ignorant l’énergie originelle, mais on voit bien qu’on doit remonter le temps dès que l’on parle de phobies, de maladies chroniques ou héréditaires. Et en santé mentale, il y a des répétitions et des situations familiales surprenantes face à certains maux et traumatismes …
C’est encore une thématique compliquée car de nos jours la notion de passé est toujours négative, censurée et pesante, alors que je crois en réalité qu’elle permet dans certaines situations de se « dé-passer » pour trouver son propre chemin ou sa propre identité, et ainsi être libre. C’est tout un paradoxe… Passer par le corps avec le Shiatsu pour observer cela est très intéressant.
Que nous dirais-tu pour nous encourager pour suivre ta voie ? Tu as été diplômée et tu t’es lancée aussitôt pour créer ton cabinet...
Le parcours études puis cabinet a été pour moi assez logique, je ne me suis pas vraiment posé de questions car je crois que c’est important de croire en sa voie. J’aime aussi le travail en équipe, les enfants, faire des recherches, j’ai donc en parallèle intégré un service de pédopsychiatrie. Ça s’est équilibré en parallèle avec la vie en cabinet même si ce n’est pas tout à fait le même travail, car la plupart du temps, en cabinet, il n’y a pas de caractère d’urgence. Dans le positionnement, c’est ce qui est difficile pour nous, car nous recueillons parfois des confidences d’un niveau de gravité important et nous accueillons aussi de lourdes pathologies. Il nous faut donc avoir du discernement et transmettre les limites de notre pratique à nos patients. J’ai souhaité pour ma part m’entourer et recréer cette équipe que j’avais en milieu hospitalier pour les patients afin de proposer un accompagnement complémentaire et non pas exclusif. Cela m’est propre, avec également un souhait de partage et d’échange. Dans cette union, une force naît et met en valeur ma discipline.
Je crois que le mal de notre société actuelle, c’est la souffrance de ne pas être entendu dans son authenticité et pourtant nous sommes tous uniques. Je pense que chacun doit trouver le chemin qui lui est réservé. On a tous des inspirations, des repères, des qualités, des défauts, des combats ou encore des convictions incroyables et c’est ce qui nous unit ici avec le Shiatsu, mais on oublie souvent qu’on a tous notre histoire comme celle qui m’est si chère en pédopsy, ou celle qui nous rend merveilleusement différents. Alors, je dirais peut-être aussi (re)découvrons d’où nous venons afin d’accueillir ce que nous sommes.
Cette pensée a été une voie encourageante pour moi et j’invite chacun à l’intégrer à son protocole de travail.
Mais au-delà de ce protocole as-tu une vision ? Une foi dans l’homme ? De plus, tu as une telle volonté que cela fonctionne, que tout finit par fonctionner !
Oh j'aurais aimé que cela soit ainsi mais ce n’est pas aussi simple ! Plus que de la volonté, c’est beaucoup de travail, dont de nombreuses heures à répéter mes fondamentaux.
Je suis très exigeante avec moi-même et je fais des choix. Ce qui signifie aussi que je renonce à d’autres choses. Tout fonctionne alors avec ce qui doit être et je ne regarde plus en arrière. De cette manière, c’est vrai que je ne doute pas. Jamais. En tout cas, pas sur ce qui m’anime. En revanche, tu l’as compris, j’observe, je m’interroge, j’analyse ! Je remets tout en question, tout le temps, chacun de mes chemins de pensée, chacune de mes réflexions, et à chaque instant ! Cela n’est pas de tout repos mais me permet de transcender mes propres limites. Nous n’avons pas de pouvoir sur le temps qui nous est alloué. Je crois qu’une fois que nous lâchons prise sur cela, il est possible de naviguer là où notre cœur résonne et d’y mettre ce que nous sommes.
Je m’intéresse, certes, à des sujets comme le transgénérationnel, mais plus largement, à l’anthropologie, et donc, à l’être humain tout court.
De ce fait, oui, je suis transportée par une grande foi. Cette foi est animée par mon travail auprès de ces enfants et adolescents qui sont l’évocation de la genèse de notre monde actuel et celui de demain. Nous avons une très grande responsabilité commune sur ce futur. Telle est ma vision et ma philosophie et c’est donc une évidence pour moi d'y consacrer ma vie professionnelle. A travers le Shiatsu, c’est un magnifique présent !
Bonjour je suis une grande convaincue par le shiastu. Je viens vers vous nous avons un très jeune adulte adopté au Cambodge bb à l âge de 3 semaines qui a déclaré un mal être dépression à l âge de 15ans toujours dedans malheureusement. L approche shiastu et transgenerationnel m a l air une méthode intéressante nous sommes sur Angers. Avez vous un cabinet ou une personne à nous recommander pour ces soins. 0635910457 merci